L’abbaye de Bonlieu

C’est assurément l’un des plus beaux sites de la Creuse, et sans doute l’un des moins connus. Le cadre est magnifique, les bâtiments impressionnants, mais quand on arrive au bout du chemin, rien ne laisse présager de l’illustre passé de cet ensemble...

Article mis en ligne le 5 décembre 2017
dernière modification le 1er février 2024

par Georges Rayet

C’est assurément l’un des plus beaux sites de la Creuse, et sans doute l’un des moins connus. Le cadre est magnifique, les bâtiments impressionnants, mais quand on arrive au bout du chemin, rien ne laisse présager de l’illustre passé de cet ensemble...

Les origines

Au commencement, il y avait ce fond de vallée encaissé et boisé dans lequel se faufilait la Tardes.
Quelques ermites installés là, fondèrent une communauté cistercienne au début du XIIe siècle sous les ordres de Géraud de Salles, et très vite on construisit des bâtiments religieux que l’évêque de Limoges vint consacrer en 1141.

A partir de là, l’abbaye de Bonlieu, ainsi baptisée parce qu’on y était bien, reçut en donation de nombreuses propriétés . Il s’agissait pour les riches et nobles familles de la région ( de Chambon, de Saint-Julien, de La Roche-Aymon, de Saint-Domet, d’Aubusson, ....) d’obtenir la rédemption de l’âme et une bonne place au cimetière de l’abbaye.
C’est ainsi qu’au milieu du XIIIe siècle, avec environ 750 donations, l’abbaye était à la tête d’un patrimoine considérable avec 13 "granges", propriétés agricoles indépendantes, sortes de fermes modèles parfaitement gérées : La Porte ( commune de Peyrat ), La Barre (commune de Saint-Julien), La Chaudure (commune de Champagnat) , La Chassagne (commune d’Issoudun), Neyrolles ( commune de Saint-Chabrais), Grosmont (commune d’Ajain), Villechenille (commune de Glénic), La Villate (commune de Saint-Priest), Montmoreau (commune de Saint-Priest), Modard ( commune de Nouhant), Bougnat( commune de Saint-Marien), Aubeterre (commune de Domérat) et Croze ( commune d’Huriel) .

Une abbaye cistercienne

L’origine de l’ordre cistercien remonte à la fondation de l’abbaye de Citeaux ( Bourgogne) en 1098 et doit son développement à Bernard de Clairvaux. Loin des fastes de Cluny le cistercien aspire à une plus grande simplicité dans la liturgie et à retrouver le sens de la pauvreté en gagnant sa vie par son travail, essentiellement un travail agricole. La vie monacale se fait dans le silence, rythmée par les offices ( sept de jour et un de nuit ! ), sous les ordres d’un abbé nommé par les moines qui seuls, ont " voix au chapitre " !
Le premier abbé de Bonlieu fut Pierre de Saint-Julien de 1121 à 1151. Il était secondé d’abord par un prieur, capable de le remplacer à tout instant, puis un sacristain veillant sur le bon respect de la liturgie, un infirmier distribuant les aumones aux pauvres, mais surtout un cellerier, sorte d’intendant en chef, s’occupant de la nourriture et de l’entretien des bâtiments.
Les moines souvent issus de la noblesse et de la bourgeoisie étaient tonsurés, vêtus de blanc, et travaillaient dans différents corps de métiers sans pouvoir trop s’éloigner de l’abbaye car la présence aux offices était pour eux obligatoire .
C’est pourquoi les granges étaient confiées à des frères convers, religieux d’origine plus modeste , portant la barbe, ne maitrisant pas le latin, mais spécialisés dans les travaux agricoles et hydrauliques.

Grandeur et décadence

Notre abbaye de Bonlieu était donc au début du moyen-âge, la plus grande, la plus riche et la plus influente de la Creuse. Elle tirait ses revenus de différentes cultures, de l’élevage, de l’exploitation des forêts ,des étangs, des moulins . La grange d’Aubeterre près de Montluçon produisait de notables quantités de vin, indispensable (entre autres ! ) pour la célébration des messes. Les gains de productivité permettaient d’avoir de gros surplus, souvent convertis en biens immobiliers, ce qui n’était pas très conforme à la règle...

Tout allait pour le mieux à la fin du XIVe siècle. Il y avait bien eu cette attaque par les anglais qui avait causé quelques dégats, mais on avait renforcé le dispositif de défense avec cette énorme tour carrée que l’on voit aujourd’hui à l’entrée.
Le coup fatal fut porté par l’institution du régime de la Commende en 1516 : l’abbé pouvait dès lors être nommé par le pouvoir royal, et beaucoup firent alors passer leur intérêt personnel avant celui de l’église ! C’est ainsi que Jean de Saint-Avit, abbé commandataire de Bonlieu, fit rénover et agrandir le château du Mazeau avec les revenus de l’abbaye !

De plus, à la suite des guerres de religion, les donations se faisaient de plus en plus rares ainsi que les vocations : il fallait embaucher et payer des mercenaires laïcs pour aider les frères convers et on devait multiplier les procédures pour faire payer les divers tenanciers disséminés sur un vaste territoire.

Le nombre de moines diminuait inexorablement , 7 au cours du XVIIe siècle puis 4 au XVIIIe et enfin 3 à la veille de la révolution de 1789 ; les religieux Gilbert Lescourioux et Vincent Cazé, sous les ordres du prieur Nicolas Mauguez.

La fin fut assez pitoyable.
L’abbé commandataire François de Richemont qui était resté chez lui à Périgueux mourut finalement en déportation sur un bateau au large de Rochefort en 1794.
En mars 1790, les pauvres de Peyrat envahirent l’abbaye pour obtenir quelques sous, provoquant le départ des 3 religieux. Après intervention de la garde républicaine de Chénérailles, le prieur fut réintégré dans l’abbaye mais gardé par une sorte de milice peyratoise, qui pendant quelques mois fit bombance au frais du pauvre Mauguez. On vit même le maire de Peyrat, Daurioux le maréchal, consommer sans modération le bon vin de la grange d’Aubeterre
Devenue bien national, l’abbaye fut vendue le 19/12/1790 à un riche teinturier d’Aubusson Gabriel Picon. Elle appartient depuis 1827 en indivision à la famille Rogier qui en hérita à la mort du dit Picon. Parmi les autres biens vendus, figure l’étang des moines, pour 6000 livres au sieur Laboureys de Chénérailles.

Et maintenant

De l’église abbatiale, il ne reste que le bout d’abside visible à droite sur cette photo. le portail au centre est l’entrée d’une chapelle créée en 1877 en fermant l’arcade qui s’ouvrait sur la nef.
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Le grand bâtiment derrière cette chapelle, est du XVIIe siècle. Il abritait la grande salle capitulaire mais il sert maintenant de résidence secondaire.
La grande tour carrée a extérieurement fière allure, mais si l’on regarde un peu à l’intérieur , on comprend que les visites ne soient pas autorisées.

.La propriété est privée, l’accès aux cascades semble permis mais reste difficile en hiver, et pour atteindre la sainte vierge en haut dans les bois, il faut traverser la Tardes ou passer par le moulin, propriété privée également.